Bref, nous entrons, tous regards inquisiteurs braqués sur la réceptionniste qui réponds à la question ''Où est-ce qu'on... ?'' en nous pointant fièrement, à distance d'un demi mètre devant elle, un ''enclos'' d'à peine 10x10 pieds carrés recouvert de tapis brun, encadré d'une rasade d'ordinateurs dont deux sont en cours d'utilisation.
Déception florissante, un seul membre du duo d'internautes daignera prendre l'initiative de nous laisser la place. L'autre, jeune adolescent à casquette, concevra que de taper le rythme musical avec la barre d'espacement pendant les morceaux sera une façon d'autant plus appréciable d'assister à notre intéressante performance.
C'est donc avec cahus que nous succédons à imposer bassiste, violoniste, altiste et vibraphoniste, tous accompagnés de leur instrument, à l'espace restreint qui nous est accordé autour du damné clavier électronique. Fourni généreusement par la bibliothèque elle-même (nous avons sincèrement apprécié l'intention), l'impossible strument (gag) transpire le pathétisme et sonne le fond de bottine. Bien sûr, il y a pire mais la pianiste n'est pas de cet avis. Le support frêle, le son synthétique et le plastique des touches de l'appareil ne manque pas d'horripiler Andréa, qui paraît atteinte d'une forte nausée chaque fois qu'elle y pose les doigts. La cerise sur le chausson aux pommes? Aucun système de pédale n'y est rattaché, alors notre claviériste se voit dans la totale impossibilité de jouer les valeurs longues. Support harmonique zéro.
Elle sera mon appui moral tout au long du massacre.
Jouera-t-on ou ne jouera-t-on pas?! Seigneur!
Le sourire aux lèvres et dans un sérieux effort afin de ne pas éclater de rire, nous nous exécutons. Verano Porteno ouvre le bal avec Joël et son splendide gliss de contrebasse qui nous lance, veut/veut pas, dans la mêlée. Tout se passe plutôt bien, si ce n'est le léger parfum d'hilarité traître flottant autour de nous.
Ensuite Invierno Porteno, la pièce de résistance. Pièce lente et mélancolique, elle ne sied en aucun cas à la présente situation, ce qui (du moins pour ma part), alimente cruellement l'envie de pouffer.
Nous commençons doucement, tranquillement, afin d'imprégner les lieux des émotions qui émanent du morceau... puis cette douce mélodie semble tout à coup perdre de sa plénitude, puis se fait sentir frêle et hésitante, comme entrecoupée de soubresauts... En effet, c'est le mouvement incontrôlable de mes épaules, séquelle de mon fou rire grandissant, qui casse le party. Je jette un coup d'oeil furtif vers les autres. Marie-Aude joue calmement, Andréa partage mon rictus en coin, Joël a la tête baissée et l'air concentré (il m'a confié ultérieurement devoir ne pas me regarder afin de garder son sérieux) et Gaël, arborant une attitude professionnelle à tout casser, ne semble avoir aucun trouble apparent.
Ahhhrrh! Une fois de plus, seule face à la destruction ricanement.
Pourtant, je ne me suis jamais retenue aussi fort! Je n'ai jamais autant souhaité reprendre le contrôle de mon archet et de mes esprits... mais rien n'y fait. Je suis aliénée par mon rire.
et ce avec raison...
Le solo de piano s'en vient. Le solo de clavier électronique s'en vient. Le solo de son de fond de bottine s'en vient. Je ne le sais que trop bien et Andréa aussi.
Amen.
Aussitôt les premières notes jouées, je ne tiens plus. Je ris. Je ris tellement que c'en est indécent! Pourpre des sourcils aux orteils, je ne peux pas m'empêcher de regarder Andréa, qui se laisse malgré elle entraîner dans mon euphorie anarchique. Sa y est, ses doigts s'enmêlent, nous rions de plus belle. Notre pauvre public (composé des parents de Marie-Aude, de l'internaute percussionniste, de la réceptionniste ainsi que d'autres de nos comparses musiciens qui doivent jouer après nous) n'y comprennent pas grand chose.
(excluant l'ado. qui, lui, semble dans le profond néant depuis le début)
Puis, soudainement, coup de grâce. C'en est trop, l'absurde en personne est parmis nous. À peine dix mesures suite à la torture électro-pianistique (ponctuée de mes gloussements devenus sans conteste incamouflables), les partitions trônant sur le support instable du ''pi-a-no'' dégringolent et Andréa, dans un geste spontané pour les rattraper, appuie involontairement sur le bouton demo du tableau de contrôle. Une splendide mélodie classique vagit alors avec force de l'appareil maudit, qui nous a démontré que ''lui aussi, y'est capable''.
Enfer et damnation.
Pourtant, par je ne sais quel miracle, nous continuons sans arrêter et je réussis à retrouver mon sérieux quelques mesures avant la fin de cette pure tragédie grecque.
Fiou! Rien. Non Arien, ne peut être pire après ça.
C'est d'ailleurs avec cette pensée que nous entamons ensuite (oui, le calvaire précédent ne fut pas assez pour nous arrêter) La muerta del angel, pièce finale de notre supplice. Oui. Cette pensée-là et celle de sacrer notre camp au plus . . .
Pourtant, même après l'évènement nucléaire, les gens présents semblaient contents. Bien sûr, pas d'éloges dithyrambiques mais tout de même pas d'effets secondaires de radiations mortelles..
En fait, bien mieux que ça : de bon commentaires.
Et c'est bien mieux que rien! Malgré notre évident défi des lois du présentable, il reste que nous faisons tout de même sourire les gens et ça, ma foi, c'est de l'or en barre.
Loin de moi l'idée de nous auto-glorifier (de toute évidence après tout ce que vous venez de lire) mais si les gens aiment, nous, on est contents!
Bâhhhr! C'est sur qu'il y a toujours la question de l'orgueil, de la satisfaction personnelle, des passages à travailler et à peaufiner... bref, les trucs habituels et pas toujours réjouissants à la suite d'une représentation.
Mais d'entendre : "Merci! Bravo! Félicitations! Votre musique est bonne et on en aurait repris!'', ça, ça efface tous les maux du monde, pour un instant.
Sans parler du rappel...